Joud Toamah ‘The River Shines Stronger than the Sun, . لعم ان النھر أقوى من الش مس
7 mai 2022 – 12 juin 2022
Pour cette édition du Festival de la Photographie de Biel/Bienne intitulé « Réparations », le Photoforum Pasquart donne carte blanche à la curatrice Sorana Munsya (RD Congo/Belgique) qui propose une présentation solo de l’artiste visuelle Joud Toamah (Syrie/Belgique). Dans cette exposition, l’artiste choisit d’explorer le pouvoir de réparation contenu dans le geste de partage des images. Le projet « The River Shines Stronger than the Sun », , ﻣﻟﻌﺎن اﻟﻧﮭر أﻗوى ﻣن اﻟﺷﻣس (2021-ongoing) utilise des archives d’images numérisées d’albums de famille que l’artiste se procure auprès de connaissances, d’amis et de membres de la famille en Syrie et dans la diaspora. Toamah collecte des images qui ont subi des processus de numérisation, de téléchargement, de recherche, de découpage, de collage, de renommage, de compression, de téléchargement, de transfert, etc. Elle crée ainsi des archives numériques d’images privées et intimes. C’est à travers la circulation des images que l’artiste Joud Toamah propose une manière de recréer des liens. » Dans son parcours numérique de relocalisation, l’image acquiert des couches consécutives de relationnalité » (Petra Van Brabandt). Ce faisant, la photographie devient un lieu où la relation est possible.
Biographie de l’artiste :
Joud Toamah (Syrie/Belgique) est une artiste interdisciplinaire et une designer graphique basée à Anvers, en Belgique. Elle a obtenu un baccalauréat en design graphique à Sint Lucas Antwerpen, BE, 2018, suivi d’un master en arts visuels à Sint Lucas Antwerp, 2019. Son travail est principalement basé sur une pratique de collecte, d’étude et d’engagement avec des archives photographiques dans des contextes numériques et intimes, explorant la circulation et l’activation des images à travers la vidéo et l’impression. Elle a récemment présenté des travaux lors de l’exposition .tiff dans le cadre du projet Futures Photography, à Aair Anvers pour l’exposition collective ‘What Stories Want’, et a été sélectionnée pour les fonds 2020 pour une exposition personnelle sous le titre ‘A sense of what I Remember’ à Fomu, Anvers, 2022.
Biographie du commissaire :
Sorana Munsya (RD Congo/Belgique) est une curatrice et une psychologue basée à Bruxelles. Dans sa pratique curatoriale et ses écrits, elle se concentre sur les liens entre l’art et les stratégies et pratiques de guérison individuelles et collectives. Travaillant sur l’art visuel contemporain créé par des artistes africains, elle a été commissaire adjointe de la 5e Biennale d’art contemporain de Lubumbashi. En outre, elle a récemment été commissaire d’une exposition solo de l’artiste Léonard Pongo au Bozar, à Bruxelles, et d’une exposition solo de l’artiste Michële Magema au Kunsthal Extra City, à Anvers. Munsya fait partie de l’équipe éditoriale du magazine d’art belge HART et est la fondatrice de la plateforme LOBI qui initie des conversations et des projets entre artistes et praticiens de différentes disciplines.
Texte de la commissaire :
Joud Toamah, dans son exposition solo intitulée « The River Shines Stronger than the Sun » au Photoforum Pasquart, explore les notions de relation et de réparation à travers la collecte de photographies partagées sur l’espace numérique. Des photos venues d’un autre temps ou d’un autre lieu, la Syrie, révèlent à l’artiste des traces de vie et lui permettent de constituer une mémoire familiale et culturelle. C’est plus précisément la matérialité des photos imprimées envoyées via internet et ayant subi des processus de téléchargement, numérisation, transfert etc. qui donne des indices permettant à Joud de coudre pas à pas le fil d’une histoire qui semble lointaine mais qui est aussi éminemment intime. En effet, la circulation de ces photos d’archives familiales à travers le monde numérique ajoute à celles-ci des détails et se matérialise de sorte qu’elle donne certaines informations et en cache d’autres à Joud. Cette dernière est fascinée par ces traces reflétant le manque, l’invisible et ainsi la quête d’une certaine réparation.
Lors de nos échanges, Joud a évoqué cette trace particulière qui semble revenir encore et encore dans les photos familiales qui lui sont envoyées par mail ou d’autres applications ; c’est le trou de lumière laissée par flash sur la photo lorsque celle-ci est à son tour prise en photo. Cette lumière qui semble dire mais qui laisse sous silence un bon nombre d’informations. Celles appartenant à la photo elle-même mais aussi celles liées à l’environnement dans lequel la photo a été prise. « The River Shines Stronger than the Sun » plonge le spectateur dans un environnement immersif où la lumière révèle tout en cachant. Les photos familiales de Joud imprimées sur voile, à travers lesquels la vidéo d’un cours d’eau frappée par le soleil met de la confusion dans ce que l’on croit voir de l’intimité familiale et culturelle de l’artiste représentée sur les images en transparence. Ce jeu de lumière et de transparence semble même révéler davantage le mouvement de celui qui regarde et qui cherche à déceler les détails de l’histoire de Joud.
En effet, celle-ci, à travers ce trou de lumière laissée sur chaque photo, pose la question de l’articulation entre visibilité et intimité d’une part et entre opacité et réparation d’autre part. Ainsi, dans le travail de Joud, l’intime n’est pas à chercher dans l’image mais plutôt dans ce qui entoure l’image ou encore dans ce que l’image dit du reste, du non-dit, du non-visible. Elle pose ainsi la question suivante : quelle est la forme de l’intimité ? L’intimité est-elle à chercher dans le visible ou dans l’invisible ? L’intimité aurait-elle une forme ou même un son ? Et si elle revêt un son, ne serait-ce pas le son du silence ou le son se trouvant entre deux notes ? Et si l’intimité était une image ne serait-elle pas celle qui viendrait compléter le flux d’images constituant le dialogue interne que chacun de nous entretient ? Un dialogue interne constitué de paroles certes mais peut-être aussi d’images. L’image de cette intimité serait alors vraisemblablement opaque à l’autre mais aussi opaque à soi-même. Opaque à soi-même car elle ne serait reconnaissable qu’au moment de son apparition et opaque à l’autre car n’appartenant pas à son flux d’images de la même manière et donc non-reconnaissable. Ainsi l’opacité est à distinguer de l’invisibilité au sens où ce qui est opaque est visible mais pas forcément reconnaissable. Dans l’exposition solo de Joud Toamah, c’est la lumière et le jeu de transparence qui nous rappelle qu’au moment où nous rentrons dans cette espace, nous rentrons dans une certaine forme d’intimité car ces deux éléments – la transparence et la lumière – rende l’atmosphère ainsi que les images opaques. Le spectateur devient ainsi le témoin du dialogue interne de Joud et quelque part de son intimité familiale et culturelle sans être capable de les lire. Tout ce qu’il peut faire c’est accepter l’opacité et à travers son ombre omniprésente constater que lorsqu’il essaie de s’approcher des images collectées par Joud, tout ce qu’il voit c’est lui-même…